27 Août Quatre grands enjeux existentiels de l’être humain

De sa naissance à sa mort, l’homme est confronté à plusieurs conflits psychiques.

 

Freud le premier a postulé que l’enfant est gouverné par des forces pulsionnelles innées qui se déploient lors du cycle de développement psychosexuel. L’enfant doit arbitrer entre la pression interne visant la gratification immédiate et le principe de réalité qui impose de retarder cette même gratification.

Puis d’autres ont défendu l’idée que l’enfant n’est ni gouverné par ses pulsions ni préprogrammé; c’est une personne qui, outre des dispositions innées, est entièrement modelée par son environnement culturel et interpersonnel. La sécurité constitue le besoin fondamental de l’enfant; la qualité des échanges avec des adultes capables de lui apporter cette sécurité détermine sa structure caractérielle. Si un enfant a la malchance d’avoir des parents si prisonniers de leurs propres conflits névrotiques qu’ils ne sont pas en mesure de lui apporter la sécurité ou d’encourager sa croissance personnelle, un conflit sérieux se manifeste. Dans cette bataille, la croissance se voit toujours compromise au profit de la sécurité.

Mais qu’en est-il de la confrontation de l’humain face aux grands enjeux de l’existence ?

« L’approche existentielle met l’accent sur un autre type de conflit fondamental, non celui relatif aux besoins pulsionnels antagonistes ni celui qui surgit avec l’entourage important, mais un conflit qui survient lors de la confrontation de l’individu aux fondamentaux de l’existence, à certains enjeux ultimes, certaines caractéristiques intrinsèques qui participent, sans échappatoire possible, de l’existence d’un individu dans le monde. » Irvin Yalom, Thérapie existentielle.

 

Quels enjeux se trouvent au cœur de l’existence d’un être humain ?

source: Irvin Yalom, Thérapie existentielle.

LA MORT: Il s’agit de l’enjeu le plus évident et le plus facilement appréhendable. Nous existons aujourd’hui, mais un jour nous cesserons d’être. La mort viendra, et il n’existe aucune échappatoire. Il s’agit d’une vérité terrible, et nous y répondons par une terreur mortelle. Pour citer Spinoza: « Chaque chose, en tant qu’elle est en soi, cherche à persister dans son être », et un conflit existentiel clé découle de cette tension entre la conscience de l’inéluctabilité de la mort et le désir de continuer à être.

LA LIBERTÉ: Cet enjeu ultime se révèle bien moins facilement appréhendable que la mort. Généralement, nous envisageons la liberté comme un concept en tout point positif. Dans l’histoire de l’humanité, l’homme ne s’est-il pas toujours battu pour sa liberté? Pourtant, la liberté, appréhendée dans cette perspective d’enjeu ultime, est inséparable de la terreur. Dans son acception existentielle, la liberté renvoie à l’absence de structure externe. Contrairement à notre expérience quotidienne, l’être humain ne pénètre (ni ne quitte) un univers bien structuré au dessein prédéfini. À l’opposé, l’individu est totalement responsable – en d’autres termes, est l’auteur – de son monde, de son projet de vie, de ses choix et de ses actions. Dans cette acception, la liberté prend une implication terrifiante, dans la mesure ou elle signifie que le sol n’existe pas sous nos pieds, qu’il n’y a rien d’autre que du néant, un abysse. Ce conflit né de notre confrontation à cette absence de socle et notre désir de socle (et donc de structure) constitue une dynamique existentielle clé.

L’ISOLEMENT FONDAMENTAL: Peu importe à quel point nous nous sentons proche des autres, il demeure un fossé ultime et infranchissable: chacun de nous arrive seul en ce monde et doit le quitter tout aussi seul. Surgit dès lors un conflit existentiel entre cet isolement absolu et notre désir de contact, de protection, d’appartenance à un tout qui nous transcende.

L’ABSENCE DE SENS: Le quatrième enjeu ultime (ou fondamentaux de l’existence) est constitué par l’absence de sens. Si nous devons mourir, si nous constituons notre propre monde, si chacun d’entre nous est finalement seul dans un univers indifférent, quel sens a la vie? Pourquoi vivons-nous? Comment vivre? S’il n’existe aucun dessein prédéfini, chacun d’entre nous doit alors élaborer le sens de sa vie. Cependant, le sens que chacun donne à ses propres créations peut-il suffire à nous faire supporter la vie? Ce conflit dynamique existentiel découle du dilemme auquel fait face un être avide de sens parachuté dans un univers qui en est dépourvu.

 

L’approche existentielle en psychothérapie nous amène à réfléchir et à nous confronter aux mécanismes de défense que nous mettons en place pour repousser l’angoisse liée à ces enjeux ultimes. Paradoxalement, l’intégration de ces quatre grandes vérités peut nous permettre d’accéder à une vie plus authentique et riche de sens.

« La conception de la mort comme contribution positive à la vie ne s’accepte pas facilement. Très souvent, nous nous représentons la mort comme le mal absolu, de sorte que nous reléguons d’emblée au rang d’absurdité toute conception contraire. Nous nous passerons très bien de la peste, merci !
L’espace d’un instant, essayons néanmoins de suspendre tout jugement et d’imaginer la vie sans l’idée de la mort. La vie perd alors quelque chose de son intensité: elle rétrécit lorsque la mort est niée. […] Le déni de la mort, à quelque niveau que ce soit, équivaut au déni de sa propre nature et entraîne une limitation toujours plus forte de notre conscience et de notre expérience. L’idée de la mort, une fois intégrée, nous sauve; au lieu de nous condamner à une existence de terreur ou de pessimisme lugubre, elle fait office de catalyseur et nous enjoint à adopter un mode de vie plus authentique, tout en accroissant notre joie de vivre, comme le corroborent de nombreux témoignages d’individus confrontés à la mort. » Irvin Yalom

 

David Rigou

 

Art: Beth Hoeckel, Immortelle.